La crue, un élément historique du marais

Association "De l'eau l'hiver !"

Le marais poitevin, où comment l'homme façonnât un territoire conquis sur l'eau

A l'origine, le Marais Poitevin est un vaste golfe occupé par la mer dans lequel se jette la Sèvre Niortaise, appelé Golfe des Pictons, bordé par les actuelles plaines de Vendée et de l'Aunis. C'est à partir du XIIème siècle que les travaux d'assèchement du Golfe, devenu une vaste étendue de vasières suite au retrait progressif de la mer, débutent avec le concours de cinq abbayes situées sur son pourtour. Les hommes ont alors à faire face à deux sources de danger : la mer d'un côté, qui s'aventure régulièrement sur les vasières de l'ancien golfe, et l'eau douce de l'autre, qui s'écoule depuis les terres intérieures via les rivières et qui tend à s'accumuler progressivement. Des digues sont donc érigées afin de lutter contre les assauts de la mer ainsi que de l'eau douce. Parallèlement, des canaux sont creusés pour chasser l'eau des vasières afin de dégager des terres propices à l'activité agricole.

Cependant, une grande partie de ces travaux entrepris par les moines sont détruits lors des guerres de religion au XVème siècle. A l'issue de cette sombre période de l'histoire de France, c'est le pouvoir royal incarné par Henri IV qui prend l'initiative de la reprise des travaux de dessèchement au sein du Marais Poitevin. Le roi Henri IV importe alors les connaissances hollandaises, à travers l'arrivée de l'ingénieur Humphrey Bradley, désigné " Maître des canaux et digues du Royaume ", accompagné d'investisseurs français et hollandais en attente d'un retour rapide de leur engagement financier. C'est donc à partir de la fin du XVème siècle, et au cours des XVIème et XVIIème siècles que le marais desséché se dessine progressivement au sein du Marais Poitevin, avec la mise en place d'un système d'évacuation chassant l'eau progressivement des terres jusqu'à l'océan. Ainsi, un réseau important de digues et de canaux est tracé, tandis que l'installation de " portes à flots " garantit l'évacuation des eaux douces en marée basse tout en préservant le marais desséché des assauts de la mer en marée haute. Ce système est toujours opérant aujourd'hui.

Le marais mouillé, une entité paysagère consacrant la maitrise de l'eau par l'homme

Dans l'histoire de la construction du Marais Poitevin, le marais mouillé est aménagé tardivement, à partir du XIXème siècle. Au commencement de l'ère napoléonienne, la frange nord-est du marais desséché est bordée par un espace marécageux, fréquemment sous les eaux du fait de l'écoulement naturel de la Sèvre Niortaise ainsi que ses affluents (notamment la Vendée et l'Autize), et difficilement habitable par l'homme du fait de nombreux désagréments engendrés par l'omniprésence de l'eau : paludisme, pollutions, insalubrité… A cette époque, le marais mouillé forme en vérité une " zone tampon " dans laquelle se concentrent les eaux douces venant de la plaine nord-est, bordant le marais desséché, ce dernier se trouvant à l'abri des crues du fait d'un réseau de levées, permettant de temps à autres de prélever de l'eau en cas de sécheresse. L'aménagement de ces derniers marécages est à nouveau impulsé par le pouvoir politique en place, incarné par la personne de Napoléon 1er, qui édicte un décret en l'an 1808 ordonnant la mise en place de travaux de canalisation sur la Sèvre Niortaise en vue d'en améliorer la navigation. Plusieurs autres textes de loi sont ensuite produits au cours du XIXème par Louis-Philippe ainsi que Napoléon III, aboutissant à la mise en place d'un très dense réseau de canaux parsemés de barrages et d'écluses, organisant l'ensemble sous la forme de paliers, ayant pour but de contrôler les crues de la Sèvre ainsi que ses affluents.

Cette carte ci-dessus (cliquez sur celle-ci pour l'agrandir), provenant de l'Institution Interdépartementale de la Sèvre Niortaise, présente l'organisation actuelle du réseau hydraulique du marais, à travers 23 biefs, de Niort à la Baie de l'Aiguillon.

Ainsi, la maitrise des eaux est assurée par le jeu de ces retenues d'eau, garantissant le contrôle des crues se concentrant en période hivernale, tandis que l'eau est maintenue l'été afin de prévenir les effets de la sécheresse.

L'organisation hydraulique du marais poitevin assure donc durant les XIXème et XXème siècles jusqu'à aujourd'hui l'évacuation progressive de l'eau, arrivant de la plaine en direction du marais mouillé, qui retient les eaux en période hivernale lorsque la pluviométrie se fait plus forte, distribuant petit-à-petit l'eau accumulée au marais desséché qui n'est ainsi jamais soumis au rythme des crues. L'eau est ensuite progressivement évacuée à l'océan, au gré du jeu des marées. Dans ce système, le marais mouillé joue le rôle d'une vaste zone tampon dans laquelle les mouvements d'eau sont contrôlés de manière à ce que l'eau douce n'inonde pas de manière imprévisible les terrains occupés par l'activité agricole. Cependant, les activités humaines se sont adaptées à la configuration de ce milieu particulier du fait de l'omniprésence de l'eau : ainsi, les terrains, jusque là récemment sous la crue durant plusieurs semaines, voire un mois ou plus, étaient consacrés à l'élevage ainsi que la culture maraichère, pratiquée durant le printemps et l'été. Aujourd'hui, la pratique de l'élevage tend à diminuer tandis que de nombreux terrains sont dorénavant labourés pour recevoir des cultures de maïs. Cette évolution des activités agricoles, induisant des changements profonds dans l'occupation du sol, ont également des conséquences sur la gestion de l'eau.

Un enjeu majeur pour le futur : quelle gestion de l'eau pour le marais mouillé ?

La configuration hydraulique du marais poitevin, aménagé selon le rythme de l'eau, est aujourd'hui soumise à certaines conséquences des activités humaines dont la nature a profondément changé en l'espace de trois décennies. Ainsi, l'essentiel des prairies qui composaient encore la majeure partie du marais desséché en 1970 est aujourd'hui cultivé, et de nombreux canaux ont été comblés, tandis que d'autres sont durablement à sec l'été du fait de la pratique de l'irrigation (nous n'approfondirons cependant pas davantage sur cette autre problématique essentielle pour le moment).

Dans le marais mouillé, on peut constater un mouvement semblable, avec de nombreuses prairies potentiellement sous la crue en hiver, mises aujourd'hui en culture à partir du printemps, essentiellement de maïs. Cette transformation de l'occupation du sol en marais mouillé a pour conséquence notre constat actuel d'une régression des crues hivernales, et donc notre mobilisation en leur faveur. En effet, pour ces nouveaux besoins agricoles, et notamment pour permettre la mise en culture de certaines terres au printemps, les crues hivernales et printanières sont de plus en plus restreintes voire inexistantes, tandis que l'on observe une défiance de plus en plus importante vis-à-vis du cycle de crue hivernale, puisque celle-ci contraint de fait l'agriculture céréalière, mais également d'autres activités humaines en marais mouillé.

Ainsi, la régression du phénomène historique de crue hivernale, constitutif de l'identité même du marais mouillé ainsi que de son écosystème, est engendrée par une succession de nouveaux besoins apparemment incompatibles avec les nécessités écologiques du milieu : agriculture, urbanisation aux abords du marais, causes diverses et ponctuelles (manifestations, nouveaux arrivants méconnaissant le cycle de la crue hivernale...). L'enjeu est ici de retrouver la juste conjugaison entre activités humaines et cycles naturels, en lien avec des impératifs écologiques, qui n'a pas réussi à perdurer jusqu'à aujourd'hui.

C'est ainsi que dans le cadre de l'application du Schéma d'Aménagement et de Gestion des Eaux Sèvre Niortaise (pour plus de renseignements, consulter cette page), nous souhaitons sensibiliser l'ensemble des acteurs du territoire, et particulièrement les élus (maires, conseillers généraux…) à cette problématique de la gestion des niveaux d'hiver. Le SAGE doit prochainement conduire à l'adoption de nouveaux textes réglementaires sur les niveaux d'eau (voir cette page).

Dans cette perspective, nous souhaitons promouvoir une autre gestion des niveaux, plus cohérente, se voulant capable de répondre à l'enjeu que nous avons préalablement définit, sachant que certains besoins agricoles tel que l'élevage s'avèrent pleinement compatibles avec cette gestion renouvelée, qu'il semble nécessaire de conforter afin de contribuer à la sauvegarde du milieu.